Cette contribution aborde la problématique de la traduction en tant que passage obligé pour une appropriation des politiques de développement par les communautés. En effet, dans une Afrique où la langue de communication institutionnelle est la langue du colonisateur, la traduction joue un rôle de premier ordre dans l’action publique. Au Burkina Faso, tous les référentiels de développement sont conçus dans une langue inaccessible à 80% de la population (correspondant au taux d’analphabétisme du pays). Il se pose donc le défi de la diffusion de ces référentiels pour qu’ils puissent s’incarner dans l’action quotidienne des citoyens. Traduire devient donc un passage obligé. Loin d’être une pratique informelle de passage d’une langue à une autre, la traduction se présente comme un espace normé traversé par divers enjeux, notamment la mise en perspective culturelle et symbolique de l’objet de traduction. Partant de la politique de décentralisation, l’objet de cette contribution est de montrer que le défi de la traduction dans le contexte africain va au-delà de la maitrise technique d’une « science » pour se poser en termes d’ancrage dans un contexte culturel particulier dans lequel le « traduit » prend signification. Cette contribution est fondée sur une approche analytique (analyse de politiques publiques) qui prend comme corpus la politique de décentralisation mise en œuvre au Burkina Faso, complétée par les techniques classiques de l’approche socio-anthropologique qui a permis une rencontre avec divers acteurs de la décentralisation (conseillers municipaux, maires, agents du Ministère en charge de l’administration territoriale) et les populations locales. A cette occasion, des entretiens semi-directifs ont permis de récolter un ensemble de données ayant servi de base, dans le cadre d’une analyse de contenu, pour la compréhension du sens et de la portée des traduits locaux de la décentralisation. En somme, il apparait que la traduction, envisagée ici comme une manœuvre visant à insérer dans un système de représentation d’accueil un signifiant élaboré dans un contexte culturel de départ sans altérer la signification et la portée symbolique du transféré, achoppe sur une contrainte majeure qui est celui du juste choix du cadre référentiel qui puisse rendre compte du traduit dans toutes ses dimensions. Cela épouse les enjeux de la traduction consistant à faire passer dans une langue d’arrivée des concepts et des symboliques au travers de systèmes de représentation étrangers formant un cadre structurant de la pensée commune. Dans cette vision, le système de représentation de la société moaga, forgé dans le contexte d’une société à pouvoir centralisé, ne semble pas offrir un équivalent dans la pratique langagière qui rende suffisamment compte de la décentralisation et de ses implications en termes de système de gouvernance et de philosophie de développement. Ainsi, le recours à une allégorie se présente comme une manœuvre ingénieuse qui permet de mettre en orbite la décentralisation et ses implications en termes de comportements à adopter. L’allégorie du margouillat sonne alors comme une interpellation, un slogan qui sensibilise aux enjeux de la décentralisation, qui alerte et qui mobilise les communautés dans la promotion d’un développement à la base.
Traduction en contexte de développement, Décentralisation et développement, Imaginaire africain, Développement local, Participation