Les recherches conduites sur la fourniture d’eau potable en milieu urbain dans le Sud global mettent surtout l’accent sur les inégalités d’accès dans les quartiers précaires. Les facteurs explicatifs avancés renvoient aux déficiences
techniques du réseau d’eau centralisé (taux de fuite, continuité du service, manque de moyens financiers et humains pour entretenir les infrastructures, etc.) ainsi qu’à une gouvernance considérée comme déficiente. Face aux limites
du modèle conventionnel, des innovations locales, à l’initiative de différents types d’acteurs (individuels, collectifs), ont émergé en dehors du réseau centralisé d’où le qualificatif de off-grid. Longtemps considérées comme des solutions transitoires, comme du bricolage, elles font aujourd’hui l’objet d’une attention particulière et questionnent la pertinence du modèle unique de réseau centralisé qui a été véhiculé internationalement. Dans quelle mesure peut-on
parler d’innovations ? Alors que l’accent est à nouveau mis sur les dimensions techniques (mini-réseaux, adaptabilité des infrastructures à la structuration des quartiers précaires, etc.) et les modes de gouvernance, décentralisés
(proximité, délégation à des opérateurs locaux ou à des associations, modalités de tarification adaptées au contexte, etc.), rares sont les travaux qui interrogent les dynamiques locales, notamment les innovations d’en bas, au-delà de ces dimensions techniques et de régulation. Afin de présenter sous un autre angle ces dynamiques de changement, nous avons analysé des expériences innovantes à l’échelle des quartiers précaires de Goundrin et de Boassa à
Ouagadougou (Burkina Faso) à partir d’enquêtes qualitatives et d’études de cas. Notre article identifie tout d’abord la pluralité des sens conférés au terme « innovation » appliqué au secteur de l’eau potable, ce qui permet de mettre en
évidence la complexité des processus en jeu, au-delà des dimensions techniques et de gouvernance. Par ailleurs, nous discutons la dimension endogène de ces innovations d’en bas, en questionnant leurs interactions avec des projets d’en haut financés par des bailleurs et portant sur l’accès à l’eau dans les quartiers précaires des villes africaines. Nous analysons ensuite deux études de cas, les quartiers de Goundrin et de Boassa, pour expliciter les conditions d’émergence de ces innovations portées par des « experts contextuels » issus de ces quartiers et motivés par des logiques d’engagement. Il s’agit de Y.O., un opérateur informel individuel, et de l’association Yaam Solidarité qui, par la mise en place de collectifs d’habitants, de mini-réseaux d’eau, des bricolages au quotidien et des modes opératoires différents, contribuent à l’amélioration de l’accès aservices d’eau. Si l’engagement de ces acteurs se situe au départ dans une logique d’action à l’échelle locale, la diffusion de ces innovations engendre des imprévus qui peuvent se traduire par le passage de logiques de coopération et de solidarité vers des logiques de concurrence et de rentabilité. L’institutionnalisation serait-elle une garantie de préservation des logiques d’action collective avec pour finalité une justice sociale et territoriale ?
Cet article contribue donc, de manière originale, à la littérature sur le « hors réseau » (off-grid) qui s’est fortement
développée dans les études sur les services d’eau ces dernières années.
Innovation d’en bas, expert contextuel, services urbains d’eau, systèmes décentralisés – off-grid